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Une histoire de l’Internet au Sénégal

Le Sénégal a été un pionnier avant-gardiste du net en Afrique sub-saharienne. C’est ce que raconte avec détails et précision le journaliste-chercheur « tech » américain d’origine iranienne Cyrus Farivar. Il consacre au Sénégal un chapitre de son livre « The Internet of Elsewhere » (non traduit) où il retrace cette incroyable aventure technologique à travers le portrait d’un homme.

Amadou Top n’a pas de biographie sur Wikipedia ni de page web personnel qui rassemble son œuvre. Aujourd’hui âgé de 64 ans, ce sénégalais est pourtant une figure incontournable du développement d’Internet sur le continent. Ce gourou du web africain a consacré une bonne partie de sa vie à l’émergence des nouvelles technologies et a contribué à connecter le Sénégal et plus largement l’Afrique de l’Ouest au réseau global. Comme l’écrit Cyrus Farivar dans son ouvrage, ce « geek en boubou a initié le gouvernement sénégalais à l’Internet puis l’a introduit dans le pays ». On est alors au début des années 1990 et le monde occidental découvre à peine le World Wide Web.

Mais bien avant les débuts de l’Internet, Amadou Top se passionne pour l’informatique alors complexe et réservée aux initiés. Formé entre Dakar et la France au prestigieux Institut national de recherche informatique et en automatique (INRIA), cet ingénieur intègre ensuite l’entreprise américaine IBM présente au Sénégal depuis 1946 sur invitation du gouvernement colonial français. D’abord stagiaire, il devient assez vite analyste puis programmeur. En 1982, Top est l’un des rares employés africains d’IBM à être choisi pour suivre une formation en France puis aux Etats-Unis pour apprendre à dompter le nouveau PC d’IBM. En parallèle, il travaille pour le ministère des Finances et contribue à informatiser les institutions sénégalaises. « Il aurait facilement pu rester au ministère des Finances et chez IBM où il avait une situation confortable et une belle carrière. Mais comme il l’explique il avait le « virus du développement » et ressentait le besoin de découvrir le monde. Il pensait alors qu’il pourrait faire un meilleur travail pour aider le Sénégal en créant son entreprise. Ce qu’il fit en 1987 », précise Cyrus Farivar.

« Ca va être une révolution »

Il s’impose comme une référence du secteur et remporte le prix du premier logiciel sénégalais en 1988. Une récompense pour Amadou Top qui ouvre la voie avec son entreprise ATI. Il s’échine alors à créer un écosystème de la création technologique au Sénégal. Ce qui lui vaut d’être repéré par l’agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) et par l’ambassade américaine de Dakar. Ces institutions américaines décident en 1995 d’inviter Amadou Top au Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas qui est le rendez-vous incontournable des acteurs des nouvelles technologies. Cette année là au CES, Netscape présente une nouvelle version « beta » de son navigateur web qui sera très populaire dans les années 1990. Top est inspiré et convaincu que le web peut contribuer à développer l’Afrique de l’Ouest .

A son retour à Dakar, Amadou Top écrit des lignes de code et développe plusieurs projets de pages web multimédia stockées sur un serveur local non connecté à Internet. A ce moment là, au Sénégal, Internet n’existe pas encore mais Amadou Top anticipe et imagine une version digitale du site de l’Agence de presse panafricaine (Pana). Il y intègre des photographies d’actualité, des vidéos, du son et pense une maquette qui permette de hiérarchiser l’information. Il veut alors utiliser ses travaux novateurs pour les présenter aux décideurs économiques et politiques sénégalais. « Amadou Top voulait que sa présentation ait un impact aussi fort que celle de Netscape a eu sur lui. Il a consacré des semaines entières à peaufiner ses pages pour être sûr que chaque image était disposée proprement, que chaque vidéo et son allaient fonctionner correctement », écrit Cyrus Farivar. Après avoir fait la démonstration devant des membres du ministère des Finances et des hommes d’affaires influents, Top est convoqué avec son ordinateur par les membres du cabinet d’Abdoulaye Wade. A ce moment là, Wade est ministre d’Etat du gouvernement de Habib Thiam. Le futur président du Sénégal est fasciné par la démonstration de Top et son site de presse. Le rendez-vous dure deux heures au lieu d’une et Wade questionne le maître sénégalais du web sur les possibilités de l’Internet. « Ca va être une révolution », conclut Top qui effectuera la même présentation une semaine plus tard dans le bureau du chef de cabinet du président de la République Abdou Diouf.

Et Internet fut

A la fin de l’année 1995, la première connexion à Internet de 64 kbps relie le Sénégal au monde du web. Top continue sa mission. Deux années plus tard, cet infatigable militant technologique fonde l’Observatoire sur les Systèmes d’Information, les Réseaux et les Inforoutes au Sénégal (OSIRIS) qui publie toujours l’excellente lettre d’information Batik. Objectif de cette association : inciter le gouvernement à consacrer plus de budget au développement de l’internet sur le territoire. Un think tank qui étudie également les répercutions sur la société : « L’association regroupe de nombreuses personnes venant de divers horizons et qui se fixent pour tache d’essayer de comprendre l’impact des nouvelles technologies sur nos sociétés, notamment la société sénégalaise. OSIRIS oeuvre aussi à la diffusion de ces technologies dans différents secteurs, pas seulement dans les quartiers favorisés mais aussi dans les quartiers populaires, au niveau des jeunes et au niveau des femmes », explique Amadou Top lors d’une interview accordée à Africultures.

Open data sur le tas

Le Sénégal est le premier pays au monde à avoir mis en ligne sur Internet son fichier électoral. On est en mai 1998 en pleine élection législative. Le climat politique est tendu. Abdoulaye Wade a quitté le gouvernement pour prendre la tête du parti d’opposition (Parti Démocratique Sénégalais) et accuse la majorité de fraudes. En charge du processus électoral, le ministre de l’Intérieur Lamine Cissé a pour mission de garantir des élections « clean ». Face aux accusations et à la pression de l’opposition, il décide de se tourner vers Amadou Top afin de développer une solution technologique censée prouver la transparence électorale. Et le « geek en boubou » a alors l’idée novatrice de publier sur le web le fichier électoral. C’est son entreprise ATI qui a la charge de cette opération d’Open data avant l’heure. « Je dirais que c’est du proto-Open data », s’amuse Cyrus Farivar. Toutefois, cette initiative va inquiéter des sénégalais immigrés illégalement en Europe qui n’apprécient guère de voir sur le web leur nom, date de naissance et nom de leur mère. Ils ont ainsi demandé la suppression de la page web, effrayés à l’idée d’être interpellés par la police à cause de ce fichier. Mais Top, grâce à sa maîtrise du web, a démontré là encore la force des outils technologiques et a ouvert la voie.

D’hier à demain

Aujourd’hui, le Sénégal demeure un pays à très fort potentiel avec un taux de pénétration parmi les plus élevés d’Afrique. Ci-dessous la visualisation du pourcentage d’utilisateurs d’internet par rapport à la population (source : Banque Mondiale)

En terme de bande passante, le réseau internet sénégalais est le plus développé du continent après l’Afrique du Sud. Dans les zones urbaines, les cybercafés plus ou moins bien équipés foisonnent mais la « fracture numérique » est encore forte. Selon l’OSIRIS, 10 % du pays a accès à Internet alors que le taux d’équipement est de 11,5 ordinateurs pour 100 foyers. Mais la vague mobile continue d’irriguer le continent de téléphones et de plus en plus de smartphones notamment des Androides. D’ailleurs, près de 88% des foyers sénégalais sont équipés en téléphonie mobile. 
Dans les zones urbaines, les cybercafés foisonnent dans les ruelles de Dakar ou dans les hotels chers de la ville équipés d’ordinateurs plus perfectionnés. Mais dans les zones rurales, les coupures d’électricité et les difficultés liées aux infrastructures rendent internet quasi inexistant.

Pour Cyrus Farivar, la prochaine étape de développement de l’Internet au Sénégal passe notamment par plus d’alphabétisation : « On l’oublie souvent mais pour utiliser Internet, il faut savoir lire et écrire. Le Sénégal a un bon taux d’alphabétisation pour la région. Et si Internet a pu se développer au Sénégal, c’est notamment grâce à la stabilité politique et économique du pays au cours de la dernière décennie ». L’autre paramètre est le coût élevé des connexions ADSL, à peu près le même prix qu’en France. L’Etat sénégalais a mis officiellement fin au monopole de l’opérateur historique, Sonatel, en 2004, « mais ce n’est qu’en 2007 que l’opérateur soudanais Sudatel a eu l’autorisation de proposer des services ADSL et téléphonie mobile », note l’auteur. C’est donc par un travail parallèle de l’Etat et du secteur privé qu’Internet va progresser en Afrique de l’Ouest. D’ailleurs, l’entreprise californienne Google est bien présente à Dakar où elle a installé son bureau régional pour l’Afrique francophone et recrute les meilleurs informaticiens locaux. Amadou Top et son observatoire OSIRIS continuent de fournir un travail d’analyse et de mise en perspective pour continuer l’œuvre de pionnier entamée il y a 20 ans.

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